Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 15:07


Objet d’étude : 
 
Le théâtre, texte et représentation
 
Le sujet comprend :
 
 
Texte A : Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, Le Barbier de Séville, acte I,
scène 1, et scène 2 (extrait), (1775). 
 
Texte B :  Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, acte I, scène 1
(extrait), (1834). 
 
Texte C :  Eugène Labiche, Un chapeau de paille d’Italie, acte I, scène 1 (1851). 
 
Texte D :  Eduardo Manet, Quand deux dictateurs se rencontrent (incipit), ©
Actes Sud-Papiers, (1996), 
 
 
 TEXTE A – Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, Le Barbier de Séville.

 
ACTE PREMIER
 
Le théâtre représente une rue de Séville, où toutes les croisées1 sont grillées2.
 
SCÈNE PREMIÈRE
 
LE COMTE, seul, en grand manteau brun
 et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se promenant.
 
Le jour est moins avancé que je ne croyais. L'heure à laquelle elle3 a coutume de se
montrer derrière sa jalousie4 est encore éloignée. N'importe ; il vaut mieux arriver trop
tôt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la cour pouvait me
deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme
à qui je n'ai jamais parlé, il me prendrait pour un Espagnol du temps d'Isabelle5.
Pourquoi non ? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le cœur de
Rosine. Mais quoi ! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la cour offrent de
toutes parts des plaisirs si faciles ? Et c'est cela même que je fuis. Je suis las6 des
conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité7 nous présentent sans cesse. Il
est si doux d'être aimé pour soi-même ; et si je pouvais m'assurer sous ce
déguisement... Au diable l'importun8 !
 
SCÈNE 2
FIGARO, LE COMTE, caché
 
FIGARO, une guitare sur le dos attachée en bandoulière avec un large ruban ; il
chantonne gaiement, un papier et un crayon à la main.
 
Bannissons le chagrin, 
Il nous consume :
Sans le feu du bon vin, 
Qui nous rallume, 
Réduit à languir, 
L'homme, sans plaisir, 
Vivrait comme un sot, 
Et mourrait bientôt.
 
Jusque-là ceci ne va pas mal, hein, hein !
 
...Et mourrait bientôt.
Le vin et la paresse 
                                           
1)
 Les croisées : les fenêtres.
2)
  Grillées : grillagées
3)
 « Elle » désigne Rosine, la jeune fille dont le comte est amoureux.
4)
  Jalousie : grillage de fer ou de bois qui couvre une fenêtre et permet de voir sans être vu.
5)
  Isabelle : La reine Isabelle la catholique (1451-1504). Le comte considère que sa conduite amoureuse relève  
d’une époque lointaine, révolue.
6)
  Las : fatigué
7)
  Vanité : arrogance, prétention.
8)
  Importun : personne dont la présence n’est pas souhaitée.


 
*********************

Se disputent mon cœur...
 
Eh non ! ils ne se le disputent pas, ils y règnent paisiblement ensemble...
 
Se partagent... mon cœur.
 
Dit-on « se partagent » ?... Eh ! mon Dieu, nos faiseurs d'opéras-comiques n'y
regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le
chante. (Il chante.) 
 
Le vin et la paresse 
Se partagent mon cœur...
 
Je voudrais finir par quelque chose de beau, de brillant, de scintillant, qui eût l'air
d'une pensée. (Il met un genou en terre, et écrit en chantant.)
 
Se partagent mon cœur.
Si l'une a ma tendresse...
L'autre fait mon bonheur.
 
Fi donc ! c'est plat. Ce n'est pas ça... Il me faut une opposition, une antithèse :
 
Si l'une... est ma maîtresse, 
L'autre...
 
Eh ! parbleu, j'y suis !...
 
L'autre est mon serviteur.
 
Fort bien, Figaro !... (Il écrit en chantant.) 
 
Le vin et la paresse 
Se partagent mon cœur ;
Si l'une est ma maîtresse, 
L'autre est mon serviteur,
L'autre est mon serviteur,
L'autre est mon serviteur.
 
Hein, hein, quand il y aura des accompagnements là-dessous, nous verrons encore,
messieurs de la cabale1, si je ne sais ce que je dis. (Il aperçoit le Comte.) J'ai vu cet
abbé2-là quelque part. (Il se relève.)
 
 
                                           
1)
 Cabale : manœuvres secrètes et collectives menées contre un auteur en vue de provoquer l’échec d’une pièce.
2)
 C’est la tenue du comte qui le fait ressembler à un abbé en soutane.

 
 
TEXTE B – Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour.
 
ACTE PREMIER
 
SCÈNE PREMIÈRE
Une place devant le château.
MAÎTRE BLAZIUS, DAME PLUCHE, LE CHŒUR1
 
 
LE CHŒUR
Doucement bercé sur sa mule fringante, messer2 Blazius s’avance dans les
bluets fleuris, vêtu de neuf, l’écritoire au côté. Comme un poupon sur l’oreiller,
il se ballotte sur son ventre rebondi, et, les yeux à demi fermés, il marmotte un
Pater noster3 dans son triple menton. Salut, maître Blazius, vous arrivez au
temps de la vendange, pareil à une amphore antique.
MAÎTRE BLAZIUS
Que ceux qui veulent apprendre une nouvelle d’importance m’apportent ici
premièrement un verre de vin frais.
LE CHŒUR
Voilà notre plus grande écuelle ; buvez, maître Blazius ; le vin est bon ; vous
parlerez après.
MAÎTRE BLAZIUS
Vous saurez, mes enfants, que le jeune Perdican, fils de notre seigneur, vient
d’atteindre à sa majorité, et qu’il est reçu docteur4 à Paris. Il revient aujourd’hui
même au château, la bouche toute pleine de façons de parler si belles et si
fleuries, qu’on ne sait que lui répondre les trois quarts du temps. Toute sa
gracieuse personne est un livre d’or ; il ne voit pas un brin d’herbe à terre,
qu’il ne vous dise comment cela s’appelle en latin ; et quand il fait du vent ou
qu’il pleut, il vous dit tout clairement pourquoi. Vous ouvririez des yeux grands
comme la porte que voilà, de le voir dérouler un des parchemins qu’il a
coloriés d’encres de toutes couleurs, de ses propres mains et sans en rien dire
à personne. Enfin c’est un diamant fin des pieds à la tête, et voilà ce que je
viens annoncer à M. le baron. Vous sentez que cela me fait quelque honneur,
à moi, qui suis son gouverneur depuis l’âge de quatre ans ; ainsi donc, mes
bons amis, apportez une chaise que je descende un peu de cette mule-ci sans
me casser le cou ; la bête est tant soit peu rétive5, et je ne serais pas fâché de
boire encore une gorgée avant d’entrer.
LE CHŒUR
Buvez, maître Blazius, et reprenez vos esprits. Nous avons vu naître le petit
Perdican, et il n’était pas besoin, du moment qu’il arrive, de nous en dire si
long. Puissions-nous retrouver l’enfant dans le cœur de l’homme !
MAÎTRE BLAZIUS
Ma foi, l’écuelle est vide ; je ne croyais pas avoir tout bu. Adieu ; j’ai préparé,
en trottant sur la route, deux ou trois phrases sans prétention qui plairont à
monseigneur ; je vais tirer la cloche. (Il sort.)
 
1)
 Le chœur : ensemble de personnes qui commentent l’action selon la tradition du théâtre antique. Il est, dans
cette pièce, composé de paysans.
2)
 « Messer » pour Monsieur
3)
 Pater noster : début d’une prière chrétienne (Notre Père).
4)
 Docteur : titre universitaire obtenu après la soutenance d’une thèse.
5)
 Rétive : peu docile

 
 
TEXTE C – Eugène Labiche, Un chapeau de paille d’Italie.
 
 
ACTE PREMIER
 
(Chez Fadinard)
 
Un salon octogone. - Au fond, porte à deux battants s'ouvrant sur la scène. - Une
porte dans chaque pan coupé. - Deux portes aux premiers plans latéraux. - A gauche,
contre la cloison, une table avec tapis, sur laquelle est un plateau portant carafe,
verre, sucrier. - Chaises.
 
SCÈNE PREMIÈRE
VIRGINIE, FELIX
 
VIRGINIE, à Félix, qui cherche à l'embrasser. - Non, laissez-moi, monsieur Félix !...
Je n'ai pas le temps de jouer.
FELIX – Rien  qu'un baiser ?
VIRGINIE – Je ne veux pas !...
FELIX – Puisque je suis de votre pays1 !... je suis de Rambouillet...
VIRGINIE – Ah ! ben ! s'il fallait embrasser tous ceux qui sont de Rambouillet !...
FELIX - Il n'y a que quatre mille habitants.
VIRGINIE – Il ne s'agit pas de ça... M. Fadinard, votre bourgeois, se marie
aujourd'hui... Vous m'avez invitée à venir voir la corbeille... voyons la corbeille !...
FELIX – Nous avons bien le temps... Mon maître est parti, hier soir, pour aller signer
son contrat chez le beau-père... il ne revient qu'à onze heures, avec toute sa noce,
pour aller à la mairie.
VIRGINIE – La mariée est-elle jolie ?
FELIX – Peuh !... je lui trouve l'air godiche2 ; mais elle est d'une bonne famille... c'est
la fille d'un pépiniériste de Charentonneau... le père Nonancourt.
VIRGINIE – Dites donc, monsieur Félix... si vous entendez dire qu'elle ait besoin
d'une femme de chambre... pensez à moi.
FELIX – Vous voulez donc quitter votre maître... M. Beauperthuis ?
VIRGINIE. – Ne m'en parlez pas... c'est un acariâtre3, premier numéro... Il est
grognon, maussade, sournois, jaloux... et sa femme donc !... Certainement, je n'aime
pas à dire du mal des maîtres...
FELIX – Oh ! non !...
VIRGINIE. – Une chipie ! une bégueule4, qui ne vaut pas mieux qu'une autre.
FELIX – Parbleu !
VIRGINIE – Dès que Monsieur part... crac ! elle part... et où va-t-elle ?... elle ne me l'a
jamais dit... jamais !...
FELIX – Oh ! vous ne pouvez pas rester dans cette maison-là.
VIRGINIE, baissant les yeux – Et puis, ça me ferait tant plaisir de servir avec
quelqu'un de Rambouillet...
FELIX, l'embrassant. – Seine-et-Oise !
 
                                           
1)
 Pays : région, ville ou village natal.
2)
  Godiche : gauche, maladroit.
3)
  Acariâtre : colérique.
4)
  Bégueule : farouche, rigide.
 
 
 
TEXTE D – Eduardo Manet, Quand deux dictateurs se rencontrent.
VOIX OFF1, 1 – A, 1 – B
 
VOIX OFF. 
Quelque part dans le monde, deux dictateurs se rencontrent. Ils sont vieux. Vieux,
mais taillés dans le roc. Visages granitiques, regards de joueurs de poker. Maîtres de
leur propre jeu. Les corps sont massifs, les gestes lents. Et pour cause… chacun
porte un épais gilet pare-balles, par mesure de précaution. Le premier sous une
élégante veste signée par un styliste à la mode, l’autre dissimulé sous l’épaisse
vareuse de son uniforme. Rencontre au sommet qui fera date dans l’Histoire. Les
deux hommes, protégés par des vitres blindées, se trouvent sur la terrasse d’un
palais, sorte de forteresse construite au sommet d’une vertigineuse montagne et où
l’on ne peut accéder qu’en hélicoptère.
 Isolés du reste du monde, les deux hommes se parlent, sans témoins. Ils n’ont
aucune raison particulière de se rencontrer. Caprice. Coup de tête. Aucune raison, si
ce n’est le voluptueux plaisir d’être en face de son double, son reflet, la présence
charnelle et puissante d’un dictateur comme soi.
 Pour mieux tenir au secret leur rencontre et déjouer de possibles pièges, leurs
appareils policiers leur ont donné des codes, composés du chiffre 1 et des deux
premières lettres de l’alphabet : A et B. Comme les deux hommes s’estiment d’une
égale puissance, ils ont tiré au sort l’ordre de leur dialogue. Pile – pour le 1-A, face
pour le 1-B.
Ils viennent de dîner. Ils ont parlé – comme ils disent – « à bâtons rompus », « à cœur
ouvert », « les yeux dans les yeux ». Imbus2 de leur pouvoir, les dictateurs ne
craignent pas d’utiliser les clichés les plus éculés3.
1-A sirote une menthe à l’eau, 1-B boit de la camomille.
 
1-A. 
Tu ne fumes plus tes fameux cigares aromatiques… Tu ne bois plus d’alcool… tu
refuses le café… ordre du médecin ?
 
1-B. 
Self-control, autodiscipline, mon cher. Comme toi. D’après ce que j’ai entendu dire, tu
t’interdis l’alcool, le tabac, tous ces stimulants exquis mais nuisibles à la santé.
 
1)
 Voix off : voix entendue par les spectateurs sans que l’émetteur soit sur scène.
2)
 Imbus de leur pouvoir : sûrs de leur puissance
3)
 Eculés : usés
 
 
 
QUESTIONS
 
Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez  aux
questions suivantes de façon organisée et synthétique  (6 points) :
 
1. Quelle est la fonction principale de ces quatre scènes d’ouverture? Justifiez
votre réponse en vous appuyant sur les textes. (3 points)
 
2. Chaque auteur a fait un choix d’énonciation différent pour débuter sa pièce (qui
parle ? à qui ?). Précisez lesquels et étudiez quels peuvent être les effets de
ces choix sur les spectateurs ou les lecteurs. (3 points) 
 
 
TRAVAUX D’ECRITURE 
 
Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (14 points)
 
 
Commentaire
 
Vous commenterez le texte A en vous aidant du parcours de lecture suivant :
- vous montrerez en quoi il s’agit d’une exposition de comédie. 
- vous étudierez comment Beaumarchais souligne l’opposition entre les deux
personnages.
 
Dissertation
 
Selon quels critères, selon vous, une scène d’exposition est-elle réussie et remplit-elle
sa fonction? 
Vous développerez votre argumentation en prenant appui sur les textes du corpus
ainsi que sur les pièces que vous avez lues ou vues.
 
Invention
 
Deux élèves d’un atelier théâtre ont choisi l’une des scènes d’exposition du corpus,
pour la jouer devant leurs camarades.
Ils débattent de leurs intentions de mise en scène du texte retenu ainsi que des effets
qu’ils veulent produire sur le spectateur. Imaginez leur dialogue. 
 
 

Partager cet article
Repost0
5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 14:56

LE ROMAN ET SES PERSONNAGES

 

 

BAC_Francais_2008_L3.png

BAC_Francais_2008_L4.png

BAC_Francais_2008_L5.png

BAC_Francais_2008_L6.png

BAC_Francais_2008_L7.png

Partager cet article
Repost0
5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 14:44

LE THEATRE

 

TEXTE A : Jean Rotrou, le véritable Saint Genest (1647), Acte ll, scène 4

TEXTE B : Molière, L'impromptu de Versailles (1682), Acte I, Scène 1

TEXTE C : Jean Anouilh, La répétition ou l'amour puni (1950), Acte II

TEXTE D : Jean-Paul Sartre, Kean (1954), Acte lV, cinquième tableau, scène 2 (fin),
adaptation de la pièce d'Alexandre Dumas

 

 

 

BAC_Francais_2009_L3.png

BAC_Francais_2009_L4.png

BAC_Francais_2009_L5.png

BAC_Francais_2009_L6.png

BAC_Francais_2009_L7.png

BAC_Francais_2009_L8.png

BAC_Francais_2009_L9.png

Partager cet article
Repost0
5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 14:38


Objets d'étude
 
 Les réécritures
 Le roman et ses personnages : visions de l’homme et du monde

Le sujet comprend :
 
Texte A – Gustave Flaubert, Mémoires d’un fou (posthume, 1901), chapitre X
Texte B – Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale (1869), première partie,
 chapitre I
Texte C – Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale (1869), troisième partie,
 chapitre VI
Texte D – Louis Aragon, Blanche ou l’oubli (1967), troisième partie, chapitre 3, 
« Une mèche de cheveux n’est pas une hypothèse »
 
 
 
TEXTE A – Gustave Flaubert, Mémoires d’un fou 
 
C'est à l'âge de dix–sept ans, en 1838, que Flaubert achève la rédaction de cette
ébauche de fiction autobiographique, qui ne sera publiée qu'en 1901. Pendant les vacances
de l’été 1836 il a rencontré Elisa Schlesinger, qui inspirera le personnage de Mme Arnoux
(voir textes suivants). Elle a alors vingt–six ans, il en a quinze.
 
 
J'allais souvent seul me promener sur la grève. Un jour, le hasard me fit aller
vers l'endroit où l'on se baignait. C'était une place, non loin des dernières maisons du
village, fréquentée plus spécialement pour cet usage ; hommes et femmes nageaient
ensemble, on se déshabillait sur le rivage ou dans sa maison et on laissait son
manteau sur le sable.
Ce jour-là, une charmante pelisse1 rouge avec des raies noires était laissée
sur le rivage. La marée montait, le rivage était festonné2 d'écume ; déjà un flot plus
fort avait mouillé les franges de soie de ce manteau. Je l'ôtai pour le placer au loin ;
l'étoffe en était moelleuse et légère, c'était un manteau de femme.
Apparemment on m'avait vu, car le jour même, au repas de midi, et comme
tout le monde mangeait dans une salle commune, à l'auberge où nous étions logés,
j'entendis quelqu'un qui me disait :
 – Monsieur, je vous remercie bien de votre galanterie. 
Je me retournai ; c'était une jeune femme assise avec son mari à la table
voisine.
– Quoi donc ? lui demandai-je, préoccupé.
– D'avoir ramassé mon manteau ; n'est-ce pas vous ?
– Oui, madame, repris-je, embarrassé.
Elle me regarda.
Je baissai les yeux et rougis. Quel regard, en effet !
Comme elle était belle, cette femme ! Je vois encore cette prunelle ardente sous un
sourcil noir se fixer sur moi comme un soleil.
Elle était grande, brune, avec de magnifiques cheveux noirs qui lui tombaient en
tresses sur les épaules ; son nez était grec, ses yeux brûlants, ses sourcils hauts et
admirablement arqués, sa peau était ardente et comme veloutée avec de l'or ; elle
était mince et fine, on voyait des veines d'azur serpenter sur cette gorge brune et
pourprée. Joignez à cela un duvet fin qui brunissait sa lèvre supérieure et donnait à
sa figure une expression mâle et énergique à faire pâlir les beautés blondes. On
aurait pu lui reprocher trop d'embonpoint ou plutôt un négligé artistique. Aussi les
femmes en général la trouvaient-elles de mauvais ton. Elle parlait lentement : c'était
une voix modulée, musicale et douce…
Elle avait une robe fine, de mousseline blanche, qui laissait voir les contours
moelleux de son bras.
Quand elle se leva pour partir, elle mit une capote3 blanche avec un seul
nœud rose ; elle le noua d'une main fine et potelée4, une de ces mains dont on rêve
longtemps et qu'on brûlerait de baisers.
 
 
 
1
 manteau, doublé ou garni de fourrure.
2
 bordé.
3
 chapeau de femme, garni de rubans.
4
 qui a des formes arrondies et pleines.
 
 
TEXTE B – Gustave Flaubert, L’Education sentimentale, première partie,
chapitre I
 
Le septembre 1840, sur un bateau, La Ville-de-Montereau, qui descend la Seine
depuis Paris jusqu’au Havre, Frédéric Moreau, un bachelier de dix-huit ans, rencontre une
femme…
 
 
 Ce fut comme une apparition :
 Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua
personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’il
passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut
mis plus loin, du même côté, il la regarda. 
 Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au
vent derrière elle. Ses bandeaux1 noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils,
descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l’ovale de sa figure. Sa
robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle
était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa
personne se découpait sur le fond de l’air bleu. 
 Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche
pour dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée
contre le banc, et il affectait d’observer une chaloupe sur la rivière. 
 Jamais il n’avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille,
ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à
ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son
nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa
chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le
désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde,
dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites. 
 Une négresse, coiffée d’un foulard, se présenta en tenant par la main une petite
fille, déjà grande. L’enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s’éveiller.
Elle la prit sur ses genoux. « Mademoiselle n’était pas sage, quoiqu’elle eût sept ans
bientôt ; sa mère ne l’aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. » Et Frédéric
se réjouissait d’entendre ces choses, comme s’il eût fait une découverte, une
acquisition.
 Il la supposait d’origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles
cette négresse avec elle ?
 Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le
bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs
humides, en envelopper sa taille, s’en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais,
entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l’eau ; Frédéric fit
un bond et le rattrapa. Elle lui dit : 
 – Je vous remercie, Monsieur. 
 Leurs yeux se rencontrèrent.
 –  Ma femme, es-tu prête ? cria le sieur Arnoux, apparaissant dans le capot de
l’escalier.
 
 
 
 
 
1
 coiffure qui sépare les cheveux au milieu du front, les ramenant sur les côtés du visage.
 
 
TEXTE C – Gustave Flaubert, L’Education sentimentale, troisième partie,
chapitre VI
 
Fréderic Moreau reverra Mme Arnoux, éprise de lui, mais leur union n’aura pas lieu.
Vers la fin de mars 1867, des années après leur dernière rencontre, elle revient voir Frédéric
chez lui. La scène se passe au retour d’une promenade. 
 
 
 Quand ils rentrèrent, Mme Arnoux ôta son chapeau. La lampe, posée sur une
console1, éclaira ses cheveux blancs. Ce fut comme un heurt en pleine poitrine.
 Pour lui cacher cette déception, il se posa par terre à ses genoux, et, prenant
ses mains, se mit à lui dire des tendresses.
 – Votre personne, vos moindres mouvements me semblaient avoir dans le
monde une importance extrahumaine. Mon cœur, comme de la poussière, se
soulevait derrière vos pas. Vous me faisiez l'effet d'un clair de lune par une nuit d'été,
quand tout est parfums, ombres douces, blancheurs, infini ; et les délices de la chair
et de l'âme étaient contenues pour moi dans votre nom que je me répétais, en
tâchant de le baiser sur mes lèvres. Je n'imaginais rien au-delà. C'était Mme Arnoux
telle que vous étiez, avec ses deux enfants, tendre, sérieuse, belle à éblouir et si
bonne ! Cette image-là effaçait toutes les autres. Est-ce que j'y pensais, seulement !
puisque j'avais toujours au fond de moi–même la musique de votre voix et la
splendeur de vos yeux !
 Elle acceptait avec ravissement ces adorations pour la femme qu'elle n'était
plus. Frédéric, se grisant par ses paroles, arrivait à croire ce qu'il disait. Mme Arnoux,
le dos tourné à la lumière, se penchait vers lui. Il sentait sur son front la caresse de
son haleine, à travers ses vêtements le contact indécis de tout son corps. Leurs
mains se serrèrent ; la pointe de sa bottine s'avançait un peu sous sa robe, et il lui
dit, presque défaillant :
 – La vue de votre pied me trouble.
 Un mouvement de pudeur la fit se lever. Puis, immobile, et avec l'intonation
singulière des somnambules :
 – A mon âge ! lui ! Frédéric !... Aucune n'a jamais été aimée comme moi ! Non,
non, à quoi sert d'être jeune ? Je m'en moque bien ! je les méprise, toutes celles qui
viennent ici !
 – Oh ! il n'en vient guère ! reprit-il complaisamment.
 Son visage s'épanouit, et elle voulut savoir s'il se marierait.
 Il jura que non.
 – Bien sûr ? pourquoi ?
 – A cause de vous, dit Frédéric en la serrant dans ses bras.
 Elle y restait, la taille en arrière, la bouche entrouverte, les yeux levés. Tout à
coup, elle le repoussa avec un air de désespoir ; et, comme il la suppliait de lui
répondre, elle dit en baissant la tête :
 – J'aurais voulu vous rendre heureux.
 Frédéric soupçonna Mme Arnoux d'être venue pour s'offrir ; et il était repris par
une convoitise plus forte que jamais, furieuse, enragée. Cependant, il sentait quelque
chose d'inexprimable, une répulsion, et comme l'effroi d'un inceste. Une autre crainte
l'arrêta, celle d'en avoir dégoût plus tard. D'ailleurs, quel embarras ce serait ! – et tout
à la fois par prudence et pour ne pas dégrader son idéal, il tourna sur ses talons et
se mit à faire une cigarette. 
 
Elle le contemplait, tout émerveillée.
 – Comme vous êtes délicat ! Il n'y a que vous ! Il n'y a que vous !
 Onze heures sonnèrent.
 – Déjà ! dit-elle ; au quart, je m'en irai.
 Elle se rassit ; mais elle observait la pendule, et il continuait à marcher en
fumant. Tous les deux ne trouvaient plus rien à se dire. Il y a un moment dans les
séparations, où la personne aimée n'est déjà plus avec nous.
 Enfin, l'aiguille ayant dépassé les vingt-cinq minutes, elle prit son chapeau par
les brides, lentement.
 – Adieu, mon ami, mon cher ami. Je ne vous reverrai jamais ! C'était ma
dernière démarche de femme. Mon âme ne vous quittera pas. Que toutes les
bénédictions du ciel soient sur vous ! 
 Et elle le baisa au front, comme une mère.
 Mais elle parut chercher quelque chose, et lui demanda des ciseaux.
 Elle défit son peigne ; tous ses cheveux blancs tombèrent.
 Elle s'en coupa, brutalement, à la racine, une longue mèche.
 – Gardez-les ! adieu !
 Quand elle fut sortie, Frédéric ouvrit sa fenêtre. Mme Arnoux, sur le trottoir, fit
signe d'avancer à un fiacre2 qui passait. Elle monta dedans. La voiture disparut.
 Et ce fut tout.
 
 
1
 petit support, généralement petite table appuyée à un mur.
 
2
 voiture de louage tirée par un cheval et conduite par un cocher.
 
 
TEXTE D – Louis Aragon, Blanche ou l’oubli 
 
Ce roman brouille toutes les pistes. Aragon parle du « doute perpétuel qui règne sur
l’existence des personnages du roman, sur la personnalité du (ou des) narrateur(s), etc. ».
Pour lire ce passage, il suffit de savoir que le narrateur, Geoffroy Gaiffier avait été quitté par
sa femme, Blanche. Longtemps après, dix–huit ans plus tard, elle a réapparu.
 
[…] Et moi, tout d’un coup, peut-être à cause de cette ressemblance, je cesse à
nouveau d’entendre Blanche, est-ce que je n’ai pas rêvé tout ça ? J’avais un peu bu.
J’ai beau la voir, Blanche. Elle m’explique : « Je suis restée très longtemps à
t’attendre, Geoff’, il faut comprendre. Le comprendre. Cette maison noire… nous
deux… » De quoi parle-t-elle ? De qui1 ? Le klaxon a encore appelé, au dehors,
parce que c’est un klaxon. Je pourrais demander, qui est-ce ? je pourrais dire, ne
t’en va pas sans m’avoir…  Blanche dit : « Tu l’entends, tu l’entends ? Il s’impatiente.
Il a dû tourner toute la soirée comme un fou dans les montagnes. Je le connais. Il est
vraiment capable de toutes les folies… » Je la regarde. Elle n’est plus jeune, c’est-à-
dire si on compare avec la mémoire… mais si on la compare avec l’oubli… Un
visage lisse encore. Voilà la différence : autrefois je n’aurais jamais pensé encore.
Qu’est-ce qu’il y a donc dans ses yeux, les mêmes ? Comme un regret ou une peur,
je ne sais. Les deux, probable. Mais ce n’est pas de moi qu’elle a peur. Plus de moi.
Ni pour moi. Je dis : « Alors, nous allons nous quitter comme ça ? » Elle a eu un
geste inattendu, levé ce bras nu, ce bras d’enfant, toujours, dont j’ai le souffle coupé.
Elle a porté sa main à sa tête. Qu’est-ce qu’elle fait ?
 Elle a arraché ce voile blond, elle passe les doigts dans les cheveux qui se
défont. J’ai vu. Mon Dieu, mon Dieu. Est-ce possible ? C’est terrible, comme ça tout
d’un coup. Mais jamais elle n’a été plus belle, cela lui donne une autre douceur du
visage que la dureté des cheveux noirs et lourds… Elle dit : « tu as des ciseaux… »,
et ce n’est pas une question. Personne comme Blanche ne fait à la fois la question et
la réponse ( Tu permets que je t’embrasse ? »comme elle disait après l’avoir fait).
Les ciseaux… elle sait qu’il y a des ciseaux, ici, dans le tiroir de la desserte, comme
il y a Pulchérie2, elle me les demande, feint de me les demander avec ce geste agité
de la main, de quelqu’un qui ne dispose pas de son temps. Je ne comprends pas.
Alors elle les prend elle-même. 
… Elle défit son peigne ; tous ses cheveux blancs tombèrent. Elle s'en coupa,
brutalement, à la racine, une longue mèche. – Gardez-les ! adieu !
 C’est incroyable, parfaitement insensé, dans un moment pareil, de ne pouvoir
faire autrement que de penser à Frédéric Moreau, à Mme Arnoux.
 « Non, – dit Blanche –, ne m’accompagne pas, Geoff’, c’est un fou, tu sais…
et il a si longtemps attendu … »
 Quand elle fut sortie, Frédéric ouvrit sa fenêtre. Mme Arnoux sur le trottoir fit
signe d'avancer à un fiacre qui passait.
 Je n’ai pas reconduit Blanche à la porte, je n’ai pas soulevé le rideau de la
fenêtre. Je ne lui avais pas demandé, quand elle a dit  c’est un fou : « Et tu
l’aimes ? » Il n’y avait pas besoin. La voiture là–bas démarrait avec une brutalité de
fauve. Je ne suis pas si sourd. D’où j’étais, d’ailleurs, dans la pièce, j’ai vu tourner les
phares. Et je me suis caché les yeux dans les mains, pour ne plus voir que l’oubli.
Les cendres chaudes de l’oubli.
 
 
1
 l’homme qui attend Blanche à l’extérieur.
2
 le narrateur réside chez des amis. Pulchérie a ouvert la porte à Blanche. Le narrateur s’est étonné
que Blanche connaisse sa présence.
 
 
 
ÉCRITURE
 
 
 
 
I – Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez d'abord
à la question suivante (4 points) :
 
 En quoi le texte B est-il une réécriture du texte A, et le texte D une réécriture du
texte C ?
 Vous vous en tiendrez aux éléments principaux.
 
 
 
II – Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
 
 
 1. Commentaire :
 
 Vous commenterez le texte d’Aragon (texte D).
 
 2. Dissertation :
 
 Selon vous, réécrire, est-ce chercher à dépasser son modèle ?
Vous développerez votre argumentation en vous appuyant sur les textes du
corpus, ainsi que sur ceux étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.
Vous pourrez vous intéresser à d’autres genres que le roman.
 
 
 3. Invention :
 
Réécrivez la dernière rencontre de Frédéric Moreau avec Mme Arnoux (texte
C), cette fois, sous la forme d’un monologue intérieur de Frédéric qui dévoilera
ses sentiments et ses pensées. Vous resterez fidèle au texte de Flaubert en
vous gardant, toutefois, d’en recopier des passages.

Partager cet article
Repost0
5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 14:33


Objet d’étude :  
 
le théâtre : texte et représentation

 
Texte A : Jean Giraudoux, Amphitryon 38, Acte I, scène 5, 1929
 
Texte B : Eugène Ionesco, Rhinocéros, Acte II, Tableau II, 1959
 
Texte C : Christine Montalbetti, Le Cas Jekyll, 2007
 
 

TEXTE A - Jean Giraudoux, Amphitryon 38, Acte I, scène 5, 1929
 
Jupiter veut séduire Alcmène qui est résolument fidèle à Amphitryon, son mari. Pour
l’approcher et parvenir à ses fins, il lui faut donc éloigner celui-ci en l’envoyant à la guerre
et prendre son apparence tandis que Mercure prendra celle de Sosie, le serviteur
d’Amphitryon. Jupiter achève sa métamorphose avant de se présenter devant Alcmène.
 
 
MERCURE : C’est votre corps entier qui doit être sans défaut… Venez là, à la lumière,
que je vous ajuste votre uniforme d’homme… Plus près, je vois mal. 
JUPITER : Mes yeux sont bien ? 
MERCURE : Voyons vos yeux… Trop brillants… Ils ne sont qu’un iris, sans cornée, pas
de soupçon de glande lacrymale ; – peut-être allez-vous avoir à pleurer ; – et les regards
au lieu d’irradier des nerfs optiques, vous arrivent d’un foyer extérieur à vous à travers
votre crâne… Ne commandez pas au soleil vos regards humains. La lumière des yeux
terrestres correspond exactement à l’obscurité complète dans notre ciel… Même les
assassins n’ont là que deux veilleuses… Vous ne preniez pas de prunelles, dans vos
précédentes aventures ? 
JUPITER : Jamais, j’ai oublié… Comme ceci, les prunelles ? 
MERCURE : Non, non, pas de phosphore1… Changez ces yeux de chat ! On voit encore
vos prunelles au travers de vos paupières quand vous clignez… On ne peut se voir dans
ces yeux-là… Mettez-leur un fond. 
JUPITER : L’aventurine2ne ferait pas mal, avec ses reflets d’or.
MERCURE : À la peau maintenant ! 
JUPITER : À ma peau ? 
MERCURE : Trop lisse, trop douce, votre peau… C’est de la peau d’enfant. Il faut une
peau sur laquelle le vent ait trente ans soufflé, qui ait trente ans plongé dans l’air et dans
la mer, bref qui ait son goût, car on la goûtera. Les autres femmes ne disaient rien, en
constatant que la peau de Jupiter avait goût d’enfant ? 
JUPITER : Leurs caresses n’en étaient pas plus maternelles. 
MERCURE : Cette peau-là ne ferait pas deux voyages… Et resserrez un peu votre sac
humain, vous y flottez ! 
JUPITER : C’est que cela me gêne… Voilà que je sens mon cœur battre, mes artères se
gonfler, mes veines s’affaisser… Je me sens devenir un filtre, un sablier de sang…
L’heure humaine bat en moi à me meurtrir. J’espère que mes pauvres hommes ne
souffrent pas cela… 
MERCURE : Le jour de leur naissance et le jour de leur mort. 
JUPITER : Très désagréable, de se sentir naître et mourir à la fois. 
MERCURE : Ce ne l’est pas moins, par opération séparée. 
JUPITER : As-tu maintenant l’impression d’être devant un homme ? 
MERCURE : Pas encore. Ce que je constate surtout, devant un homme, devant un corps
vivant d’homme, c’est qu’il change à chaque seconde, qu’incessamment il vieillit. Jusque
dans ses yeux, je vois la lumière vieillir.  35
JUPITER : Essayons. Et pour m’y habituer, je me répète : je vais mourir, je vais mourir… 
MERCURE : Oh ! Oh ! Un peu vite ! Je vois vos cheveux pousser, vos ongles s’allonger,
vos rides se creuser… Là, là, plus lentement, ménagez vos ventricules. Vous vivez en ce
moment la vie d’un chien ou d’un chat. 
JUPITER : Comme cela ? 
MERCURE : Les battements trop espacés maintenant. C’est le rythme des poissons…
Là… là… Voilà ce galop moyen, cet amble3, auquel Amphitryon reconnaît ses chevaux et
Alcmène le cœur de son mari… 
JUPITER : Tes dernières recommandations ? 
MERCURE : Et votre cerveau ? 
JUPITER : Mon cerveau ? 
MERCURE : Oui, votre cerveau… Il convient d’y remplacer d’urgence les notions divines
par les humaines… Que pensez-vous ? Que croyez-vous ? Quelles sont vos vues de
l’univers, maintenant que vous êtes homme ? 
JUPITER : Mes vues de l’univers ? Je crois que cette terre plate est toute plate, que l’eau
est simplement de l’eau, que l’air est simplement de l’air, la nature la nature, et l’esprit
l’esprit… C’est tout ? 
MERCURE : Avez-vous le désir de séparer vos cheveux par une raie et de les maintenir
par un fixatif ? 
JUPITER : En effet, je l’ai. 
MERCURE : Avez-vous l’idée que vous seul existez, que vous n’êtes sûr que de votre
propre existence ? 
JUPITER : Oui. C’est même très curieux d’être ainsi emprisonné en soi-même. 
MERCURE : Avez-vous l’idée que vous pourrez mourir un jour ? 
JUPITER : Non. Que mes amis mourront, pauvres amis, hélas oui ! Mais pas moi. 
MERCURE : Avez-vous oublié toutes celles que vous avez déjà aimées ? 
JUPITER : Moi ? Aimer ? Je n’ai jamais aimé personne ! Je n’ai jamais aimé qu’Alcmène. 
MERCURE : Très bien ! Et ce ciel, qu’en pensez-vous ? 
JUPITER : Ce ciel, je pense qu’il est à moi, et beaucoup plus depuis que je suis mortel
que lorsque j’étais Jupiter ! Et ce système solaire, je pense qu’il est bien petit, et la terre 
immense, et je me sens soudain plus beau qu’Apollon, plus brave et plus capable
d’exploits amoureux que Mars, et pour la première fois, je me crois, je me vois, je me
sens vraiment maître des dieux. 
MERCURE : Alors vous voilà vraiment homme !… Allez-y ! 
Mercure disparaît.
 
 
___________________
 
1   Elément chimique dont une des propriétés est d’émettre de la lumière dans l’obscurité.
2   Une variété de quartz aux incrustations vertes.
3   Allure de marche.
 
 
TEXTE B - Eugène Ionesco, Rhinocéros, Acte II, Tableau II, 1959
 
Dans une petite ville, les habitants se transforment peu à peu en rhinocéros, métaphore
de la barbarie. Bérenger, venu rendre visite à son ami Jean, assiste à cette
transformation.
 
BÉRENGER : Parlez plus distinctement. Je ne comprends pas. Vous articulez mal.
JEAN, toujours de la salle de bains : Ouvrez vos oreilles !
BÉRENGER : Comment ?
JEAN : Ouvrez vos oreilles. J’ai dit, pourquoi ne pas être un rhinocéros ? J’aime les
changements.
BÉRENGER : De telles affirmations venant de votre part… (Bérenger s’interrompt, car
Jean fait une apparition effrayante. En effet, Jean est devenu tout à fait vert. La bosse de
son front est presque devenue une corne de rhinocéros.) Oh ! vous semblez vraiment
perdre la tête ! (Jean se précipite vers son lit, jette les couvertures par terre, prononce des
paroles furieuses et incompréhensibles, fait entendre des sons inouïs.) Mais ne soyez pas
si furieux, calmez-vous ! Je ne vous reconnais plus.
JEAN, à peine distinctement : Chaud…trop chaud. Démolir tout cela, vêtements, ça
gratte, vêtements, ça gratte.
Il fait tomber le pantalon de son pyjama.
BÉRENGER : Que faites-vous ? Je ne vous reconnais plus ! Vous, si pudique d’habitude !
JEAN : Les marécages ! les marécages !…
BÉRENGER : Regardez-moi ! Vous ne semblez plus me voir ! Vous ne semblez plus
m’entendre !
JEAN : Je vous entends très bien ! Je vous vois très bien !
Il fonce vers Bérenger tête baissée. Celui-ci s’écarte.
BÉRENGER : Attention !
JEAN, soufflant bruyamment : Pardon !
Puis il se précipite à toute vitesse dans la salle de bains.
BÉRENGER fait mine de fuir vers la porte de gauche, puis fait demi-tour et va dans la
salle de bains à la suite de Jean, en disant : Je ne peux tout de même pas le laisser 25
comme cela, c’est un ami. (De la salle de bains.) Je vais appeler le médecin ! C’est
indispensable, indispensable, croyez-moi.
JEAN, dans la salle de bains : Non.
BÉRENGER, dans la salle de bains : Si. Calmez-vous, Jean ! Vous êtes ridicule. Oh ! votre
corne s’allonge à vue d’œil !… Vous êtes rhinocéros !
JEAN, dans la salle de bains : Je te piétinerai, je te piétinerai.
Grand bruit dans la salle de bains, barrissements, bruits d’objets et d’une glace qui tombe
et se brise ; puis on voit apparaître Bérenger tout effrayé qui ferme avec peine la porte de
la salle de bains, malgré la poussée contraire que l’on devine.
 
 
TEXTE C - Christine Montalbetti, Le Cas Jekyll, 2007
 
Réécriture théâtrale d’une célèbre nouvelle de Robert Louis Stevenson, ce monologue
met en scène, sous la forme d’une confession au notaire Utterson, l’histoire étrange d’un
scientifique, le docteur Jekyll qui, la nuit venue, se transforme en mister Hyde, dangereux
criminel. Il relate l’expérience de sa première métamorphose. 
 
Il y eut un soir où je sus que j’étais prêt. 
Je le tiens dans ma main, ce breuvage trouble et fumant, avec son précipité orange
qui le zèbre en volutes doucereuses, et qui doit me permettre d’opérer physiquement la
dissociation de mes pulsions ! La potion que j’ai confectionnée, hop, je me la siffle.
 
  Ah, my goodness 1 !
 
Cette part-là est presque inénarrable2. La douleur que c’est. L’arrachement.
L’écartèlement. La réduction. Ce qui me paraît se broyer, de mes os. Ce qui se ratatine.
La souffrance atroce du rétrécissement. La déformation. Nuit maudite !
 
Or,  aussitôt  après  la  douleur  considérable,  quelque  chose  de  délicieux  se met à me
couler dans les veines.  Chacune  est  comme  un  petit  ruisseau  tout neuf et riant, et qui
irrigue de vivifiantes prairies. Peinture exquise !
 
Je cours vers ma chambre, je veux me voir dans le miroir de ma coiffeuse. Je
gambade avec la même joie, je pense, que les premiers hommes qui s’essayèrent à la
bipédie. Mon pas est si sautillant, si léger ! La courette me découpe un carré de ciel qui
 m’est réservé et qui me couvre comme un dais3.
La lune très grosse entre abondamment dans la pièce et l’éclaire comme en plein
jour.
Celui que je vois n’est pas fort coquet, pour sûr. Mais ta vilaine face me plaît,
comme un autre moi-même.
 Il y a dans le mouvement de se reconnaître je ne sais quelle gratification qui
dépasse les considérations esthétiques.
Que m’importe cette petite taille, cette difformité vague, puisque c’est moi, enfin,
sous un nouveau jour, que jusque-là je n’avais pu contempler !
 
Mais l’aube va naître. Mes gens grappillent leurs dernières minutes de sommeil.
 Parviendrai-je à reprendre mon apparence d’avant ? Ou bien garderai-je pour
toujours ma figure de Hyde ? Je traverse la courette dans l’autre sens, vers le laboratoire,
avec au cœur un affreux suspens. Non plus sautillant, comme tout à l’heure, mais
détalant comme un chat inquiet. J’ai établi soigneusement mes calculs ; or une erreur,
n’est-ce pas, peut toujours s’y glisser. Je bois la seconde potion.
 
 Sacrebleu ! dieux du ciel ! londonienne frayeur ! Mes os de Hyde cette fois s’étirent,
mes muscles s’allongent dans des souffrances terribles. Puis cela cesse. Je me dirige de
nouveau, encore haletant, jusqu’à ma chambre, et, dans le miroir de ma coiffeuse, je vois
qui ? Jekyll, qui souffle comme un bœuf, ses jolis traits un peu tirés, mais en tout point
semblable à celui qu’il a été.
 
Utterson, for God’s sake, have mercy 4 !
 
_____________________
 
1 Mon Dieu !
2 Qu’on ne peut pas raconter.
3 Pièce d’étoffe précieuse.
4 Pour l’amour de Dieu, ayez pitié !
 

 
ÉCRITURE
 
 
I - Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) : 
 
Comment l’écriture de ces trois textes de théâtre rend-elle compte du processus de
transformation des personnages ?
 
 
II - Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
 
1. Commentaire  
 
Vous commenterez le texte de Jean Giraudoux (texte A) à partir de « JUPITER :                 
As-tu maintenant l’impression d’être devant un homme ? » (l. 32) jusqu’à la fin            
(l. 70).
 
2. Dissertation  
 
Au théâtre le rôle du metteur en scène peut-il être plus important que celui de
l’auteur ? Vous développerez votre argumentation en vous appuyant sur les textes
du corpus, sur ceux que vous avez étudiés en classe,  sur vos lectures
personnelles et sur votre expérience de spectateur.

3. Invention  
 
Christine Montalbetti répond à un comédien qui s’interroge sur la façon de jouer
cette scène et sur les conditions matérielles de la représentation (texte C). 
Vous rédigerez cette lettre, qui doit contenir des indications précises de mise en
scène. 
 

Partager cet article
Repost0
4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 13:59

LE ROMAN ET SES PERSONNAGES

 

TEXTE A : Honoré de Balzac, Le Chef-d'oeuvre inconnu

TEXTE B : Victor Hugo, L'Homme qui rit

TEXTE C : Emile Zola, L'assomoir

TEXTE D : Marcel Proust, Le temps retrouvé

BAC_Francais_2008_SES3.png

BAC_Francais_2008_SES4.png

BAC_Francais_2008_SES5.png

BAC_Francais_2008_SES6.png

BAC_Francais_2008_SES7.png

Partager cet article
Repost0
4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 13:40

S ES 20093

S ES 20094

S ES 20095

S ES 20096

S ES 20097

S ES 20098

S ES 20099

S ES 200910

Partager cet article
Repost0
4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 11:50

Le roman et ses personnages : visions de l’homme et du monde

Le sujet comprend :

 

Texte A - Victor Hugo, Les Misérables, 4ème partie, livre 12, 1862

Texte B - Gustave Flaubert, L’Education sentimentale, troisième partie, I, 1869

Texte C – Emile Zola, La Fortune des Rougon, chapitre I, 1871

 

 

 

TEXTE A - Victor Hugo, Les Misérables, 4ème partie, livre 12

Gavroche, un gamin de Paris, aide les insurgés qui construisent une barricade, au cours de l’émeute parisienne de juin 1832.

Gavroche, complètement envolé et radieux, s’était chargé de la mise en train. Il allait, venait, montait, descendait, remontait, bruissait, étincelait. Il semblait être là pour l’encouragement de tous. Avait-il un aiguillon ? oui certes, sa misère ; avait-il des ailes ? oui certes, sa joie. Gavroche était un tourbillonnement. On le voyait sans cesse, on l’entendait toujours. Il remplissait l’air, étant partout à la fois. C’était une espèce d’ubiquité1 presque irritante ; pas d’arrêt possible avec lui. L’énorme barricade le sentait sur sa croupe. Il gênait les flâneurs, il excitait les paresseux, il ranimait les fatigués, il impatientait les pensifs, mettait les uns en gaieté, les autres en haleine, les autres en colère, tous en mouvement piquait un étudiant, mordait un ouvrier ; se posait, s’arrêtait, repartait, volait au-dessus du tumulte et de l’effort, sautait de ceux-ci à ceux-là, murmurait, bourdonnait, et harcelait tout l’attelage ; mouche de l’immense Coche révolutionnaire.

Le mouvement perpétuel était dans ses petits bras et la clameur perpétuelle dans ses petits poumons :

- Hardi ! encore des pavés ! encore des tonneaux ! encore des machins ! où y en a-t-il ? Une hottée2 de plâtras pour me boucher ce trou-là. C’est tout petit votre barricade. Il faut que ça monte. Mettez-y tout, flanquez-y tout, fichez-y tout. Cassez la maison. Une barricade, c’est le thé de la mère Gibou3. Tenez, voilà une porte vitrée.

Ceci fit exclamer les travailleurs.

- Une porte vitrée ! Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse d’une porte vitrée, tubercule 4 ?

- Hercules vous-mêmes ! riposta Gavroche. Une porte vitrée dans une barricade, c’est excellent. Ça n’empêche pas de l’attaquer, mais ça gêne pour la prendre. Vous n’avez donc jamais chipé des pommes par-dessus un mur où il y avait des culs de bouteilles ? Une porte vitrée, ça coupe les cors aux pieds de la garde nationale5 quand elle veut monter sur une barricade. Pardi ! le verre est traître. Ah ça, vous n’avez pas une imagination effrénée, mes camarades !

 

______________________

1 Capacité d’être dans plusieurs lieux à la fois.

2 Contenu d’une hotte pleine.

3 Boisson faite de beaucoup de mélanges.

4 Racine qui est une réserve nutritive pour une plante ; ici, allusion à la petite taille de Gavroche.

5 Soldats envoyés pour mater la révolte.


 

TEXTE – B Gustave Flaubert, L’Education sentimentale, III. 1, 1869

Frédéric, le héros de l’Education sentimentale, assiste avec son ami Hussonnet au saccage du Palais des Tuileries, au cours de la Révolution de 1848.

Tout à coup la Marseillaise retentit. Hussonnet et Frédéric se penchèrent sur la rampe. C’était le peuple. Il se précipita dans l’escalier, en secouant à flots vertigineux des têtes nues, des casques, des bonnets rouges, des baïonnettes et des épaules, si impétueusement, que des gens disparaissaient dans cette masse grouillante qui montait toujours, comme un fleuve refoulé par une marée d’équinoxe, avec un long mugissement, sous une impulsion irrésistible. En haut, elle se répandit, et le chant tomba. On n’entendait plus que les piétinements de tous les souliers, avec le clapotement des voix. La foule inoffensive se contentait de regarder. Mais, de temps à autre, un coude trop à l’étroit enfonçait une vitre ; ou bien un vase, une statuette déroulait d’une console, par terre. Les boiseries pressées craquaient. Tous les visages étaient rouges ; la sueur en coulait à larges gouttes ; Hussonnet fit cette remarque :

- « Les héros ne sentent pas bon ! » - « Ah ! vous êtes agaçant », reprit Frédéric.

Et poussés malgré eux, ils entrèrent dans un appartement où s’étendait, au plafond, un dais de velours rouge. Sur le trône, en dessous, était assis un prolétaire à barbe noire, la chemise entr’ouverte, l’air hilare et stupide comme un magot1. D’autres gravissaient l’estrade pour s’asseoir à sa place.

- « Quel mythe ! » dit Hussonnet. « Voilà le peuple souverain ! »

Le fauteuil fut enlevé à bout de bras, et traversa toute la salle en se balançant.

- « Saprelotte ! comme il chaloupe ! Le vaisseau de l’Etat est ballotté sur une mer orageuse ! Cancane-t-il2 ! Cancane-t-il ! »

On l’avait approché d’une fenêtre, et, au milieu des sifflets, on le lança.

- « Pauvre vieux ! » dit Hussonnet en le voyant tomber dans le jardin, où il fut repris vivement pour être promené ensuite jusqu’à la Bastille, et brûlé.

Alors, une joie frénétique éclata, comme si, à la place du trône, un avenir de bonheur illimité avait paru ; et le peuple, moins par vengeance que pour affirmer sa possession, brisa, lacéra les glaces et les rideaux, les lustres, les flambeaux, les tables, les chaises, les tabourets, tous les meubles, jusqu’à des albums de dessins, jusqu’à des corbeilles de tapisserie. Puisqu’on était victorieux, ne fallait-il pas s’amuser ! La canaille s’affubla ironiquement de dentelles et de cachemires. Des crépines3 d’or s’enroulèrent aux manches des blouses, des chapeaux à plumes d’autruche ornaient la tête des forgerons, des rubans de la Légion d’honneur firent des ceintures aux prostituées. Chacun satisfaisait son caprice ; les uns dansaient, d’autres buvaient. Dans la chambre de la reine, une femme lustrait ses bandeaux avec de la pommade ; derrière un paravent, deux amateurs jouaient aux cartes ; Hussonnet montra à Frédéric un individu qui fumait son brûle-gueule4 accoudé sur un balcon ; et le délire redoublait au tintamarre continu des porcelaines brisées et des morceaux de cristal qui sonnaient, en rebondissant, comme des lames d’harmonica.

____________________________

1 Singe ; figurine chinoise grotesque en porcelaine ; sens figuré homme très laid.

2 Danse le cancan, une danse excentrique.

3 Franges de tissu à fonction décorative.

4 Pipe à tuyau très court.

 

TEXTE C – Emile Zola, La Fortune des Rougon, chapitre I, 1871

Le coup d’Etat du 2 décembre 1851, organisé par Louis-Napoléon Bonaparte, a suscité en Provence des insurrections républicaines, notamment dans le département du Var. C’est cette révolte que décrit Zola au début de La Fortune des Rougon.

La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible. Rien de plus terriblement grandiose que l’irruption de ces quelques milliers d’hommes dans la paix morte et glacée de l’horizon. La route, devenue torrent, roulait des flots vivants qui semblaient ne pas devoir s’épuiser ; toujours, au coude du chemin, se montraient de nouvelles masses noires, dont les chants enflaient de plus en plus la grande voix de cette tempête humaine. Quand les derniers bataillons apparurent, il y eut un éclat assourdissant. La Marseillaise emplit le ciel, comme soufflée par des bouches géantes dans de monstrueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des sécheresses de cuivre, à tous les coins de la vallée. Et la campagne endormie s’éveilla en sursaut ; elle frissonna tout entière, ainsi qu’un tambour que frappent les baguettes ; elle retentit jusqu’aux entrailles, répétant par tous ses échos les notes ardentes du chant national. Alors ce ne fut plus seulement la bande qui chanta ; des bouts de l’horizon, des rochers lointains, des pièces de terre labourées, des prairies, des bouquets d’arbres, des moindres broussailles, semblèrent sortir des voix humaines ; le large amphithéâtre qui monte de la rivière à Plassans, la cascade gigantesque sur laquelle coulaient les bleuâtres clartés de la lune, étaient comme couverts par un peuple invisible et innombrable acclamant les insurgés ; et, au fond des creux de la Viorne1, le long des eaux rayées de mystérieux reflets d’étain fondu, il n’y avait pas un trou de ténèbres où des hommes cachés ne parussent reprendre chaque refrain avec une colère plus haute. La campagne, dans l’ébranlement de l’air et du sol, criait vengeance et liberté. Tant que la petite armée descendit la côte, le rugissement populaire roula ainsi par ondes sonores traversées de brusques éclats, secouant jusqu’aux pierres du chemin.

__________________

1 Rivière qui coule près de la ville de Plassans.

 

 

ÉCRITURE

 

 

I - Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :

Quelles visions du peuple les trois extraits du corpus donnent-ils ?

 

 

II - Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des trois sujets suivants (16 points) :

 

1. Commentaire :

Vous commenterez le texte C : La Fortune des Rougon d’Emile Zola.

 

2. Dissertation :

Un philosophe a déclaré qu’il avait beaucoup plus appris sur l’économie et la politique dans les romans de Balzac qu’en lisant les économistes et les historiens. Dans quelle mesure la lecture des romans permet-elle de connaître une période historique et une société ? Vous rédigerez un développement structuré, qui s’appuiera sur les textes du corpus, les romans que vous avez étudiés en classe et vos lectures personnelles.

3. Invention :

Rentrée chez elle, la femme aux bandeaux (texte B, lignes 33-34) raconte à sa famille la prise des Tuileries à laquelle elle a participé. Vous exprimerez ses émotions et ses sentiments. Vous veillerez à mêler description et narration.

Partager cet article
Repost0
4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 11:27

 

 

 

Objet d'étude :

L’argumentation : convaincre, persuader et délibérer

 

 

 

Le sujet comprend :

 

 

Texte A - Fénelon, Les Aventures de Télémaque (1699), Septième livre

Texte B - Montesquieu, Lettres persanes (1721), Lettre XII

Texte C - Voltaire, Candide (1759), chapitre XXX


 

TEXTE A – Fénelon, Les Aventures de Télémaque

Télémaque et son précepteur Mentor sont de retour aux abords de l’île de Calypso. Ils rencontrent un capitaine de navire dont le frère Adoam leur livre les dernières nouvelles et leur dépeint un pays extraordinaire, la Bétique.

Le fleuve Bétis coule dans un pays fertile et sous un ciel doux, qui est toujours serein. Le pays a pris le nom du fleuve, qui se jette dans le grand Océan, assez près des Colonnes d'Hercule1 et de cet endroit où la mer furieuse, rompant ses digues, sépara autrefois la terre de Tharsis2 d'avec la grande Afrique. Ce pays semble avoir conservé les délices de l'âge d'or. Les hivers y sont tièdes, et les rigoureux aquilons3 n'y soufflent jamais. L'ardeur de l'été y est toujours tempérée par des zéphyrs4 rafraîchissants, qui viennent adoucir l'air vers le milieu du jour. Ainsi toute l'année n'est qu'un heureux hymen du printemps et de l'automne, qui semblent se donner la main. La terre, dans les vallons et dans les campagnes unies, y porte chaque année une double moisson. Les chemins y sont bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d'autres arbres toujours verts et toujours fleuris. Les montagnes sont couvertes de troupeaux, qui fournissent des laines fines recherchées de toutes les nations connues. Il y a plusieurs mines d'or et d'argent dans ce beau pays ; mais les habitants, simples et heureux dans leur simplicité, ne daignent pas seulement compter l'or et l'argent parmi leurs richesses : ils n'estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l'homme. Quand nous avons commencé à faire notre commerce chez ces peuples, nous avons trouvé l'or et l'argent parmi eux employés aux mêmes usages que le fer, par exemple, pour des socs de charrue. Comme ils ne faisaient aucun commerce au-dehors, ils n'avaient besoin d'aucune monnaie. Ils sont presque tous bergers ou laboureurs. On voit en ce pays peu d'artisans : car ils ne veulent souffrir que les arts qui servent aux véritables nécessités des hommes ; encore même la plupart des hommes en ce pays, étant adonnés à l'agriculture ou à conduire des troupeaux, ne laissent pas d'exercer les arts nécessaires pour leur vie simple et frugale. […] Quand on leur parle des peuples qui ont l'art de faire des bâtiments superbes, des meubles d'or et d'argent, des étoffes ornées de broderies et de pierres précieuses, des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l'harmonie charme, ils répondent en ces termes : « Ces peuples sont bien malheureux d'avoir employé tant de travail et d'industrie à se corrompre eux-mêmes ! Ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent : il tente ceux qui en sont privés de vouloir l'acquérir par l'injustice et par la violence. Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu'à rendre les hommes mauvais ? Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous ? Vivent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus unis entre eux ? Mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ? Au contraire, ils doivent être jaloux les uns des autres, rongés par une lâche et noire envie, toujours agités par 35 l'ambition, par la crainte, par l'avarice, incapables des plaisirs purs et simples, puisqu'ils sont esclaves de tant de fausses nécessités dont ils font dépendre tout leur bonheur.

 

1 Ainsi sont appelées, dans l’Antiquité, les montagnes qui bordent, du côté de l’Europe et du côté de l’Afrique, le détroit de Gibraltar, aux limites du monde connu.

2 la terre de Tharsis : dans l’Antiquité, nom donné à la péninsule ibérique.

3 nom poétique des vents du nord.

4 vents d’ouest, doux, tièdes et agréables.

 

 

TEXTE B – Montesquieu, Lettres persanes

Les Troglodytes sont un peuple imaginaire dépeint dans trois lettres successives. Le texte ci-dessous est un extrait de la deuxième.

Qui pourrait représenter ici le bonheur de ces Troglodytes ? Un peuple si juste devait être chéri des dieux. Dès qu'il ouvrit les yeux pour les connaître, il apprit à les craindre, et la Religion vint adoucir dans les mœurs ce que la Nature y avait laissé de trop rude.

Ils instituèrent des fêtes en l'honneur des dieux : les jeunes filles ornées de fleurs, et les jeunes garçons les célébraient par leurs danses et par les accords d'une musique champêtre. On faisait ensuite des festins où la joie ne régnait pas moins que la frugalité. C'était dans ces assemblées que parlait la nature naïve ; c'est là qu'on apprenait à donner le cœur et à le recevoir ; c'est là que la pudeur virginale faisait en rougissant un aveu surpris, mais bientôt confirmé par le consentement des pères ; et c'est là que les tendres mères se plaisaient à prévoir de loin une union douce et fidèle.

 

On allait au temple pour demander les faveurs des dieux ; ce n'était pas les richesses et une onéreuse abondance : de pareils souhaits étaient indignes des heureux Troglodytes ; ils ne savaient les désirer que pour leurs compatriotes. Ils n'étaient au pied des autels que pour demander la santé de leurs pères, l'union de leurs frères, la tendresse de leurs femmes, l'amour et l'obéissance de leurs enfants. Les filles y venaient apporter le tendre sacrifice de leur cœur, et ne leur demandaient d'autre grâce que celle de pouvoir rendre un Troglodyte heureux.

 

Le soir, lorsque les troupeaux quittaient les prairies, et que les bœufs fatigués avaient ramené la charrue, ils s'assemblaient, et, dans un repas frugal, ils chantaient les injustices des premiers Troglodytes et leurs malheurs, la vertu renaissante avec un nouveau peuple, et sa félicité. Ils célébraient les grandeurs des dieux, leurs faveurs toujours présentes aux hommes qui les implorent, et leur colère inévitable à ceux qui ne les craignent pas ; ils décrivaient ensuite les délices de la vie champêtre et le bonheur d'une condition toujours parée de l'innocence. Bientôt ils s'abandonnaient à un sommeil que les soins et les chagrins n'interrompaient jamais.

 

La nature ne fournissait pas moins à leurs désirs qu'à leurs besoins. Dans ce pays heureux, la cupidité était étrangère : ils se faisaient des présents où celui qui donnait croyait toujours avoir l'avantage. Le peuple troglodyte se regardait comme une seule famille ; les troupeaux étaient presque toujours confondus ; la seule peine qu'on s'épargnait ordinairement, c'était de les partager.

 

D'Erzeron, le 6 de la lune de Gemmadi 2, 1711.

 

 

 

TEXTE C – Voltaire, Candide

Nous sommes dans le dernier chapitre du conte de Voltaire et pour obtenir les réponses définitives aux questions qu’il se pose, Candide décide de rendre visite à un sage oriental et de l’interroger.

Pendant cette conversation, la nouvelle s’était répandue qu’on venait d’étrangler à Constantinople deux vizirs1 du banc et le muphti2, et qu’on avait empalé plusieurs de leurs amis. Cette catastrophe faisait partout un grand bruit pendant quelques heures. Pangloss3, Candide et Martin4, en retournant à la petite métairie, rencontrèrent un bon vieillard qui prenait le frais à sa porte sous un berceau d’orangers. Pangloss, qui était aussi curieux que raisonneur, lui demanda comment se nommait le muphti qu’on venait d’étrangler. « Je n’en sais rien, répondit le bonhomme, et je n’ai jamais su le nom d’aucun muphti ni d’aucun vizir. J’ignore absolument l’aventure dont vous me parlez ; je présume qu’en général ceux qui se mêlent des affaires publiques périssent quelquefois misérablement, et qu’ils le méritent ; mais je ne m’informe jamais de ce qu’on fait à Constantinople ; je me contente d’y envoyer vendre les fruits du jardin que je cultive. » Ayant dit ces mots, il fit entrer les étrangers dans sa maison : ses deux filles et ses deux fils leur présentèrent plusieurs sortes de sorbets qu’ils faisaient eux-mêmes, du kaïmak piqué d’écorces de cédrat confit, des oranges, des citrons, des limons, des ananas, des pistaches, du café de Moka qui n’était point mêlé avec le mauvais café de Batavia et des îles. Après quoi les deux filles de ce bon musulman parfumèrent les barbes de Candide, de Pangloss et de Martin. « Vous devez avoir, dit Candide au Turc, une vaste et magnifique terre ? – Je n’ai que vingt arpents, répondit le Turc ; je les cultive avec mes enfants ; le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice, et le besoin. »


 

 

1 vizir : ministre de l’empire ottoman.

2 muphti : homme de loi attaché à une mosquée qui donne des avis sur des questions juridiques et religieuses.

3 compagnon de voyage et précepteur de Candide, tenant de la philosophie de l’optimisme.

4 compagnon de voyage de Candide, et philosophe contradicteur de Pangloss.

 

 

ÉCRITURE

 

 

 

I – Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points) :

Ces textes cherchent-ils seulement à nous dépayser ou ont-ils une autre visée ? Votre réponse se fondera sur quelques exemples précis. Elle devra être organisée et synthétique.

 

II – Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (16 points) :

 

1. Commentaire

Vous commenterez le texte de Fénelon (texte A).

 

2. Dissertation

En quoi l’évocation d’un monde très éloigné du sien permet-elle de faire réfléchir le lecteur sur la réalité qui l’entoure ? Vous développerez votre argumentation en vous appuyant sur les textes du corpus, les œuvres que vous avez étudiées en classe et celles que vous avez lues.

3. Invention

Vous avez séjourné en Bétique. Déçu, vous décidez de partir. Ecrivez le discours d’adieu que vous prononcez devant les habitants.

Partager cet article
Repost0
25 janvier 2011 2 25 /01 /janvier /2011 11:05

 

 

Bonjours à tous :)

Aujourd'hui, je vais partager un peu mon expérience en ce qu'il concerne les révisions pour un devoir/examen tel que le bac. 

 

Tout d'abord, commence par fixer tes objectifs : qu'est ce que tu vises ? Je constate souvent que pour beaucoup d'étudiants on entend "déjà, j'essaye d'avoir mon bac, après la mention, on verra". C'est ton cas ? Mais pourquoi se contenter de ça seulement ?

Le bac ne vaut plus grand chose aujourd'hui, alors penser comme ça, c'est travailler pour un bout de papier seulement ! Et ça, tout le monde sait le faire avec un minimum de volonté... Tu es satisfait de rentrer chez toi en annonçant une bonne note à tes vieux non ? Et ça ferait quoi alors d'avoir le bac avec une mention ? Je te laisse imaginer...

La mention "assez bien" c'est pas mal, mais si je pense pouvoir y arriver, la mention "Bien" est pas loin non plus ! La mention "TB", faut vraiment s'y mettre à fond mais quand on l'a, alors...

Donc 1/ La mention, ca apporte beaucoup de reconnaissance :) 

 

Ensuite, trouver sa méthode de révisions : si ta méthode de travail est déjà bonne, pas besoin de la changer. Tu peux chercher à l'optimiser par exemple, à toi de voir. Ma méthode (pour ma filière scientifique) était la suivante : surtout travailler les annales. Le cours c'est bien sympa, mais en général, les explications dans les annales sont assez bien faites pour comprendre le cours également. J'ai du refaire 4 ou 5 fois mon annale de maths (ainsi que physique/chimie et svt) au cours de l'année. A la fin je la connaissais presque par coeur et je savais qu'avec ces connaissances, je pouvais largement m'en sortir le jour J.

La seule chose que j'aurais du faire en plus, c'était de noter clairement les ROC en maths afin de les apprendre par coeur...

2/ Acquérir une méthode de travail efficace (toujours utile pour plus tard, je peux le garantir ;)

 

Je veux pas voir en commentaire les excuses "les annales coutent chères" (c'est vrai) ou autre ! Internet est là ! Inscrivez-vous sur bankexam.fr et téléchargez les annales que vous voulez avec leur correction. Si tu tombes sur un exercice où il te manque la correction, pourquoi pas demander aux autres de la classe ou à ton prof ? Ca mange pas de pain et on a tout à y gagner !

 

Travailler en groupe, c'est vraiment pas mal. Il y a toujours (ou presque) quelqu'un pour trouver le pourquoi du comment et tout le monde y gagne ;)

Par contre, il faut savoir bien s'entourer. Un petit test : demande à tes potes ce qu'ils pensent d'avoir la mention. Les réponses du style "déjà, le bac ca serait pas mal", je déconseillerai de bosser avec ces personnnes. Au contraire, une réponse genre "putin ca serait énorme", là y'a du potentiel donc faut foncer cash ! ;)

3/ Tisser de nouveaux liens ?

 

Bref, une fois arrivé le jour J :

 

Une fois devant la feuille, tu sauras exactement tes points forts et tes points faibles. Aucun stress de toute façon, tu es là pour décrocher ZE mention et tu feras tout pour l'avoir. Après tout, le travail est toujours récompensé ! Personnellement, je commence à lire rapidement les exos (la plupart je les connais car déjà fait grâce aux annales) et je fais d'abord ceux que je sais faire en premier histoire de gratter le maximum de points. Si je bloque, je laisse un peu d'espace pour y revenir plus tard et j'enchaine. Mais ne jamais laisser une question sans réponse. Toujours tenter quelque chose ! Un demi-point est toujours bon à prendre ! (Bon sauf si c'est pour mettre des idioties hein, le soleil tourne pas autour de la Terre lol)


Relisez pour virer les quelques fautes d'orthographes ou erreurs parfois aberrantes qui peuvent rendre fou n'importe quel prof !

 

Rendu de copie, tu sais à peu près combien elle vaut. Maintenant, autre matière et tu sais que tu vas casser la baraque une fois de plus ;)

 

J'espère que t'es motivé maintenant, car le bac, ca te colle au derrière toute ta vie : tes gosses te demanderont combien t'as eu, tes collègues de travail aussi, tes amis !! C'est l'occasion de frimer (avec modération :p ) alors bouge-toi !!

Partager cet article
Repost0